(dans mes envies)
Extrait
Les silences d'Ulysse
«Il ne me paraîtrait, en vérité, rien de moins qu'impie de comparer le Parlement irlandais à un antre de cyclopes.»
Lettre à Sir Hercules Langrishe
On peut voir à Cork en Irlande un tableau inhabituel. Burke y est
représenté sous les traits d'Ulysse et le peintre, James Barry, a pris
lui-même place comme l'un de ses compagnons. L'oeuvre se réfère à
l'épisode de l'Odyssée où Ulysse s'échappe avec ceux-ci de la caverne du
cyclope Polyphème - endormi à l'arrière-plan - après l'avoir aveuglé.
Le genre est celui du «portrait historique» où un moderne se voit revêtu
des traits d'un personnage du passé qui, en retour suggère leur
comparaison. Le portrait, en effet, fait signe et explicitement. Burke
élève l'index selon un geste qui signifie à la fois le conseil et le
silence. Dès lors, différentes interprétations peuvent être développées
et d'abord celle-ci : la date, 1776, est l'année décisive des événements
d'Amérique, celle où les colons proclament leur indépendance. Burke
s'est placé à ce moment dans une position dangereuse et le cyclope à ne
pas réveiller se nomme George III. La même année, Barry réalise aussi
une gravure, «Phénix ou la liberté qui ressuscite». Celle-ci, morte en
Angleterre, s'est transportée, pour y revivre, en Amérique. Un
personnage mal identifié pourrait être Burke ; si c'est le cas, il est
plutôt en mauvaise compagnie, celle d'auteurs «républicains» comme Locke
ou Algernon Sidney.
Burke et Barry ont en tout cas en commun d'être
irlandais et d'avoir un père officiellement protestant et une mère
catholique. Et ce qu'évoque le tableau c'est bien une situation
dangereuse pour les deux et plus généralement des croyances et des
convictions qui doivent être dissimulées. Le couple d'Edmund reproduit
celui du père : continuité de l'Église protestante établie d'un côté, de
la foi catholique de l'autre ; et le protestant a un peu tardé à
s'affirmer : Burke a grandi dans la vallée de Blackwater, enclave de
propriétés catholiques en territoire protestant, et a été éduqué hors
des circuits officiels, d'abord dans une des écoles catholiques
clandestines (hedge-schools) qui se trouvaient alors en Irlande, puis
sous la direction d'un Quaker, Abraham Shackelton. Son oncle maternel,
Joseph Nagle, a été décrit comme «le plus détesté par les protestants de
tous les catholiques du royaume.» Le père, Richard, n'aurait pu exercer
sa profession d'avoué s'il ne s'était «conformé» à l'Église officielle.
Revue de presse
Il n'existait pas, en français, de monographie présentant la
pensée d'Edmund Burke (1729-1797). L'ouvrage de Patrick Thierry comble
ce manque. Le philosophe irlandais est pourtant un écrivain politique
d'importance aux yeux des Anglo-Saxons, apprécié - fait plutôt rare -
tant des conservateurs que des libéraux...
Par son fin décryptage
des engagements et des textes du philosophe, Patrick Thierry restitue
avec bonheur cette figure originale. (Jean Montenot - Lire, mars 2011 )
Biographie de l'auteur
Patrick Thierry, agrégé de philosophie, est ancien élève de l'ENS
de Saint-Cloud. Ses travaux, notamment "La Tolérance. Société
démocratique, opinions, vices et vertus" (PUF 1997), portent sur la
philosophie morale et politique. Il est aussi le traducteur de Locke,
Adam Smith et John Stuart Mill.
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